Agde : le « camp des Catalans »

(Laia Arañó Vega, ara.cat, 30-03-2014)

traduit du catalan par Christian Camps

Le centre a été l’aboutissement de la pression sur les autorités françaises par les anciens conseillers de la Generalitat.

Fin février 1939, un nouveau camp a été ouvert à Agde, dans le département de l’Hérault, qui sera finalement connu sous le nom de camp des Catalans, étant donné que la majorité des internés étaient d’origine catalane. Il a été construit sur une trentaine d’hectares, afin d’accueillir quelque 25 000 hommes, pour la plupart des combattants républicains en provenance d’autres camps. Le 28 février, le général Ménard, qui avait en charge tous les camps français, communiquait au préfet de l’Hérault la création du camp. Le même jour, c’était l’arrivée des premiers volontaires espagnols qui commençaient à le construire sous la direction de deux compagnies d’ingénieurs issus du camp de Saint-Cyprien. Le 15 mai, il était prêt.

Agde a accueilli quelque 24 000 réfugiés, répartis en trois sections : les deux premières étaient occupées par des réfugiés espagnols et des militants du PSUC 1, et la troisième par des internés d’origine catalane appartenant à d’autres partis politiques. Le camp disposait de 250 baraquements, la plupart destinés aux réfugiés, et les autres à l’intendance, l’infirmerie, les douches, les toilettes… Faites de bois et de toile, les réfugiés dormaient là sur des matelas de paille, tout d’abord à même le sol et plus tard sur des litières faites par eux-mêmes. C’étaient de bien meilleures conditions de vie et de salubrité par rapport aux autres camps, comme l’expose le poète Agustí Bartra à Carles Pi i Sunyer le 10 mai 1939 : « Ce camp d’Agde est bien différent de celui d’Argelès. Là-bas du sable et encore du sable – terre sans chemins et sans semences – agglomération chaotique de baraquements et d’hommes, le vent ou la pluie battant toujours. »

Avec l’appui de la Generalitat

La création d’un camp pour réfugiés catalans (de limpide filiation républicaine et proches de la Generalitat en exil) a été due au fait que d’anciens conseillers de la Generalitat avaient fait pression et négocié avec les autorités françaises pour concentrer dans un même espace le plus grand nombre de compatriotes réfugiés en France, et éviter ainsi la dispersion et la dislocation du collectif catalan en exil. Les réfugiés d’Agde étaient en majorité des militants de base de l’ERC 2, État Catalan et l’Union des Rabassaires 3, des soldats de la colonne Macià-Companys et des agents de police de la Generalitat, des chauffeurs, des fonctionnaires, etc. La création du camp a été le triomphe de la politique républicaine catalaniste en exil, dans la mesure où il a pu intervenir dans l’organisation pratique de la vie et de l’aide aux réfugiés, en marge des directives espagnoles.

Les militants communistes étaient séparés de leurs autres compatriotes, preuve évidente que l’organisation de l’exil catalan, dans son penchant le plus institutionnel, était aux mains de l’ERC et mettait en évidence la rupture entre le monde républicain catalan (représenté majoritairement par la gauche républicaine, entre autres) et les communistes (PSUC).

La vie au camp d’Agde n’était pas très éloignée de celle des autres camps français, comme l’exposait Bartra à Pi i Sunyer le 17 mai : « La vie s’écoule, lente et monotone. En général tous les Catalans sont satisfaits de se trouver ensemble dans ce camp. Les conditions de vie – ou plutôt, de survie – sont supérieures à celle des autres camps, bien que la fatigue des gens s’accentue, après trois mois d’oisiveté forcée ». Cependant il a fallu peu de temps pour que les réfugiés catalans s’emploient à créer des groupes de théâtre et de lecture, des équipes de football et de rugby et des chorales. Plus tard, ils ont aussi organisé des cours de langue et d’histoire.

Avec son propre cachet

Le camp a vécu un processus de catalanisation qui l’a rendu différent des autres. Comme l’exposait Pere Puig, une autre figure importante du camp, à Pi i Sunyer : « Nous avons réussi à donner son propre cachet à ce camp. Toutes les affiches, les notules et les ordres sont rédigés en catalan ; le haut-parleur est entre nos mains ; […] la militarisation est plus nominale qu’effective ; l’ambiance est très catalane ».

Le camp a fermé petit à petit entre juin et septembre 1939. Quelques réfugiés ont choisi de revenir en Espagne, d’autres ont été recrutés par les Compagnies de Travailleurs Étrangers 4 et d’autres se sont enrôlés dans la Légion Étrangère Française. En juin 1940, quand la France a été vaincue par les Allemands, le camp d’Agde a été réutilisé pour y mettre quelque 6 000 réfugiés de différents pays, y compris des Juifs. Fin 1944, avec la libération de la France, le camp a fermé définitivement.

1- Parti Socialiste Unifié de Catalogne (NDT, toutes les notes sont du traducteur).

2- Catalan, pour Gauche Républicaine Catalane.

3-Les rabassaires étaient des paysans catalans locataires de leurs terres. Ils cultivaient traditionnellement la vigne, dont la durée du contrat dépendait de la mort des ceps (rabassa morta). À la suite de la crise du phylloxéra, comme les cépages introduits avaient une durée de vie inférieure aux précédents, ils se sont organisés dès 1922 en Union des Rabassaires pour défendre leurs contrats auprès des propriétaires. Cette organisation était proche des Républicains catalans de l’ERC.  

4- Certaines Compagnies de Travailleurs Étrangers travaillèrent pour l’armée française, notamment sur la ligne Maginot.

Illustrations : dessins réalisés par Arthur Kéry Escoriguel, républicain espagnol interné au Camp