Accueil des lauréats du Concours National de la Résistance et de la Déportation
Le mercredi 12 juin, les jeunes lauréats héraultais du Concours National de la Résistance et de la Déportation ont fait une halte au Monument du Camp d’Agde. C’était dans le cadre de leur journée découverte de quelques lieux de mémoire en lien avec le thème du concours qui était cette année : Résister à la Déportation en France et en Europe.
Pour rappel, ce concours a pour objectif de perpétuer chez les jeunes la mémoire de la Résistance et de la Déportation, d’approfondir leurs connaissances sur les événements de la Seconde Guerre mondiale et d’en tirer des leçons civiques dans leur vie présente. Le Conseil Départemental de l’Hérault, en partenariat avec la Direction départementale des services de l’Education nationale de l’Hérault et le Centre Régional d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Castelnau-le-Lez, sont parties prenantes de ce concours et apportent une aide à sa préparation en mettant à disposition des enseignants et candidats un dossier pédagogique portant sur le thème de l’année.
Les collégiens et lycéens, accompagnés de leurs enseignants et de Mme Sylvie Desachy, directrice des Archives Départementales de l’Hérault ont été accueillis et félicités par les représentants de la Municipalité d’Agde, du Conseil Départemental de l’Hérault et de l’AMCA. C’est devant une assistance pluri-générationnelle que sont intervenus Sébastien Frey, Maire d’Agde, Marie-Pierre Pons, Vice-présidente du Conseil Départemental de l’Hérault, et Hélène Pascual et Christian Camps de l’AMCA.
Le Maire d’Agde a rappelé l’importance de respecter les valeurs portées par notre devise républicaine car elles sont garantes de nos libertés. Il a insisté sur le fait qu’il était crucial de transmettre la mémoire de ces périodes sombres et de rejeter l’exclusion et l’intolérance. La Vice-présidente du Conseil Départemental s’est félicitée du succès de ce concours auquel participent tous les ans de nombreux collégiens et lycéens. Elle a indiqué que cette volonté des jeunes à travailler autrement l’histoire de la seconde guerre mondiale démontrait leur souhait de s’inscrire dans une réflexion citoyenne. Enfin, la secrétaire et le président de l’AMCA ont évoqué l’histoire du Camp d’Agde et de ses occupants et un focus sur quelques personnalités ayant été internées a été fait.
A la fin de la cérémonie les lauréats ont déposé une gerbe au pied du Monument du Camp d‘Agde.
Interventions des représentants de l’AMCA
Aujourd’hui, le Camp d’Agde construit en 1939 pour interner les Républicains espagnols n’existe plus. Pour nous en souvenir, il ne reste que ce monument devant lequel nous sommes et la volonté inébranlable des membres de l’association AMCA de transmettre la mémoire de son existence ainsi que celle de tous ceux qui y sont passés et qui y ont souffert.
Ce monument, érigé en 1989 grâce à l’action d’historiens locaux devenus membres fondateurs de l’AMCA est porteur de trois symboles forts : par son emplacement d’abord qui se trouve à l’endroit même où il y 85 ans s’élevait l’entrée du Camp, par ses 6 stèles ensuite qui sont comme autant de témoins de chaque population qui ont été internées ici et enfin par son environnement où les rues voisines portent toutes des noms qui rappellent l’existence du Camp (rue de Barcelone, rue de Prague, place des Enfants d’Yzieu…)
Il y a 85 ans, en mars 1939, le Camp d’Agde a été construit sur un terrain militaire de 30 hectares situé à l’écart de la ville et à proximité d’une caserne de Gardes Mobiles (il s’agit de l’actuel Hôtel de Ville situé juste derrière nous). Il était constitué de 250 baraques entourées de fils de fer barbelés et surveillées par un mirador. Peu après, il reçoit les premiers convois de Républicains espagnols. Au nombre de 24 000 ils en ont été les premiers occupants. A partir de septembre 1939, au moment où débute la seconde Guerre Mondiale, le Camp d’Agde va devenir le Camp de l’Europe en guerre. Il héberge successivement l’armée Tchécoslovaque, l’armée Belge, des soldats d’Afrique du Nord, des populations juives apatrides et tziganes de l’Europe et enfin des travailleurs indochinois. Au total, entre 1939 et 1943, 50 000 personnes, civiles et militaires ont été ici internées. 50 000 personnes qui ont vécu des jours difficiles dans ce camp où tout manquait : l’hygiène, l’eau, la nourriture. Ils ont vécu ici avec la peur au ventre de ce que l’avenir pourrait leur réserver, et pour nombre d’entre eux, malheureusement, l’avenir leur a réservé le pire.
Ne pas oublier, montrer, dire, transmettre la mémoire de ce camp au nom de ceux qui ne peuvent plus le faire ce sont les missions de notre association. En organisant des expositions, des colloques, des conférences, des animations scolaires, des parcours mémoire, nous faisons de ce camp une mémoire vivante et mettons un nom et un parcours de vie sur chacune des personnes qui y sont passées. Et pour beaucoup d’entre elles, leur histoire est liée à celle de la Résistance et de la Déportation.
Il faut tout d’abord évoquer la mémoire d’une grande dame, d’une héroïne, d’une résistante. Sabine Zlatin était infirmière au camp d’Agde, où elle a sauvé des enfants juifs de la déportation. Entre octobre 1940 et février 1941, 1200 enfants juifs étrangers et gitans furent internés par le régime de Vichy, 300 de ces enfants avaient moins de 3 ans. Sabine Zlatin sauva 120 enfants juifs et 15 enfants gitans de la déportation vers les camps nazis. Elle effectuait deux ou trois fois par semaine le trajet de Montpellier à Agde et retour, et elle ramenait son lot d’enfants juifs qu’elle remettait à l’Organisation de Secours aux Enfants. Parmi ces enfants, il y avait Diane Popovsky, âgée de 2 ans, qu’elle a sauvée cachée dans une couverture. Ses parents ont été déportés à Drancy, puis à Auschwitz, où sa mère a été assassinée. C’est la famille Pallarès de Montpellier qui la recueillera chez elle. Elle ira ensuite à Izieu. Dernièrement Midi libre (14 avril 2024) s’en est fait l’écho en relatant le témoignage de cette rescapée, âgée aujourd’hui de 84 ans.Le parvis du collège René Cassin tout proche porte le nom de Place des Enfants d’Izieu, afin de ne pas oublier l’horreur des camps et la souffrance de ces enfants qui ont eu faim, froid et peur, sans comprendre ce qui leur arrivait.
Des Agathois ont aussi sauvé des Juifs au péril de leur vie. Des noms de rue perpétuent la mémoire de ces Justes : rue des Justes, chemin M. et Mme Joly, rue Achille Bautes, rue Jean Pallarès, rue Famille Carausse. Joseph Joly, qui exerçait le métier de tailleur, a aidé de nombreuses familles juives à passer en Espagne. Jean Pallarès, jeune secrétaire de mairie, établissait de faux papiers et venait en aide aux Juifs en leur procurant des cartes d’alimentation et en brûlant tout document compromettant. Les Allemands occupaient Agde en novembre 1942 et il fallait redoubler de prudence. La famille Carausse a hébergé en le cachant un jeune Polonais ; ils le considéraient comme un membre de leur propre famille. Puis il a pris le maquis de la Montagne noire. Achille Bautes, pâtissier, a recueilli en les cachant les frères Blum.
Derrière le collège, dans la rue du Camp d’Agde, trois stèles ont été érigées. La première évoque le souvenir des Justes agathois. La seconde est dédiée aux 41 Juifs des Groupements de Travailleurs Étrangers déportés à Auschwitz le 28 août 1942. La troisième est consacrée aux martyrs des camps de Buchenvald, Struthoff, Dachau et Dora. Elle contient une urne renfermant de la terre de chacun de ces camps.
Parmi les républicains espagnols internés au camp d’Agde, il faut évoquer trois personnalités hors du commun. Tout d’abord, le square où nous sommes s’appelle Square Francisco Prat Puig. C’était un archéologue qui a aidé un pharmacien agathois, Raymond Aris, lui-même archéologue amateur, à pratiquer des fouilles tout près du Cap d’Agde, dans le centre-ville et sur le site de Notre-Dame-du-Grau. En 1943, il a quitté le camp pour Cuba où il a été professeur d’histoire de l’art à l’université de Santiago.
L’autre personnalité marquante est José Cabrero Arnal, le créateur de Pif le chien. Tout jeune, il se passionnait déjà pour le dessin. Dans les années 30, il devient un dessinateur confirmé et réputé. Épris de liberté, pour défendre la République, il s’engage contre Franco et, grièvement blessé, il finit par fuir le franquisme. Il franchit les Pyrénées et connaît les camps de concentration français : Argelès, Saint-Cyprien, Le Barcarès, puis celui d’Agde. Contraint de travailler dans un Groupement de Travailleurs Étrangers, il est envoyé en 1940 dans le camp nazi de Mauthausen. Il s’adonne à des dessins érotiques qui plaisent beaucoup aux Allemands et, grâce à ces dessins, il bénéficie d’un traitement moins mauvais que les autres prisonniers. En 1945, il retrouve enfin la liberté, et rentre en France qu’il ne quittera plus. Il publie des dessins satiriques et crée en 1948 Pif le chien qui va le rendre célèbre. C’est un personnage de bande dessinée imaginé pour le quotidien communiste L’Humanité. Après L’Humanité, Pif le chien est devenu la série vedette du journal pour enfants Vaillant. En 1969, Vaillant est remplacé par Pif gadget.
Enfin, avec la commémoration du 80e anniversaire du débarquement en Normandie, comment ne pas mentionner le nom de Luis Royo. Il a été interné au camp d’Agde. Dès que ses tantes qui étaient établies dans la région ont appris sa présence au camp, elles ont réussi à le faire sortir et embaucher dans un domaine viticole. Le 18 juin 1940, il entend l’appel du général de Gaulle et s’engage dans la Légion, mais, dès que l’occasion se présente, il rejoint la 2e division blindée du général Leclerc, rallié aux Forces Françaises Libres. Les républicains espagnols étaient tellement nombreux dans la 9e compagnie qu’elle a été surnommée la Nueve (Neuf en espagnol). Installée à Rabat, la compagnie reçoit des véhicules américains que les Espagnols baptisent Madrid, Guernica, Santander, etc. Du Maroc, la Nueve part en Grande-Bretagne avec l’objectif de débarquer en France. Le 1er août 1944, Luis Royo et ses 10 compagnons du half-track « Madrid » qu’il conduit débarquent sur la plage d’Omaha Beach. Ils participent à de violents combats dans l’Orne puis, le 24 août, le général Leclerc leur donne l’ordre de libérer Paris. Luis Royo et ses compagnons espagnols sont les premiers à libérer la capitale. Le 26 août, le général de Gaulle honore la Nueve en remettant aux combattants la croix de Lorraine, symbole de la France Libre. Après la guerre, Royo est devenu ouvrier chez Citroën et a toujours gardé la fierté d’avoir libéré Paris.
Aimé Césaire a dit qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Alors, vous, les jeunes, cultivez la mémoire du passé et transmettez-la. Surtout n’oublions jamais. Un mémorial du camp d’Agde est prévu dans le centre historique de la ville. Sa réalisation a pris un peu de retard, mais espérons que dans deux ou trois ans nous pourrons vous y recevoir.
Ci-dessous quelques photos de cette manifestation :