La microtoponymie urbaine et le camp d’Agde

Aujourd’hui une place, trois rues et un square nous rappellent l’existence du camp d’Agde : place des Enfants d’Izieu, rue de Barcelone, rue du Camp d’Agde, rue de Prague et square Francisco Prat Puig. Chronologiquement, sous la municipalité Louis Reboul, ont été attribués les noms de rue de Barcelone, qui va de l’avenue de Sète à l’avenue Paul Balmigère, et rue de Prague (délibération  municipale du 2 octobre 1952).

La rue de Barcelone a été choisie, car 80% des réfugiés étaient originaires de la Catalogne, à tel point que le camp d’Agde a également été connu sous l’appellation « Camp des Catalans ». Certains internés participèrent à la vie d’Agde. Le professeur Prat-Puig, archéologue reconnu, prit part, avec Raymond Aris, aux fouilles d’Embonne.

De nombreuses œuvres furent réalisées par les peintres Cadena, Barba et Sola, le sculpteur Àngel Tarrach et le ferronnier d’art Antoni Clavell. Ce dernier et Cadena ont notamment restauré la salle d’honneur de l’ancien Hôtel de Ville. On doit à Àngel Tarrach, artiste renommé, le bas-relief de cette  pièce.

 

 

L’écrivain Agustí Bartra (1908-1982) a séjourné au camp. Durant son internement, il a écrit des poèmes inspirés par le camp ; on lui doit aussi un roman relatant son séjour dans les camps de Saint-Cyprien et d’Agde, Le Christ aux 200 000 bras, initialement écrit en espagnol et publié en 1958 au Mexique sous le titre Xabola. La traduction catalane a vu le jour en 1968 : Crist de 200 000 braços. Bartra a aussi rédigé le prologue des Cartes des dels camps de concentració (1972), ouvrage posthume (Lettres des camps de concentration, traduction française de Bernard Sicot, 2013) écrites par son ami Pere Vives, jeune intellectuel catalan mort en déportation à Mathausen (1910-1941), qu’il a connu à Argelès et à Agde. Voici un extrait du prologue concernant le camp d’Agde et son ami Pere Vives : « Nous avions l’habitude de nous retrouver au coucher du soleil, quand les rues de la ville de bois habitée par dix mille Catalans se vidaient et que les pavillons se remplissaient, après le dîner. Nous nous promenions en faisant des tours à travers le camp jusqu’au matin ou jusqu’à l’aube. Nuits d’Agde avec lui, et lui avec moi ! ». D’autres intellectuels sont passés par ce camp. Nous mentionnons leurs noms plus bas (cf. rue du Camp d’Agde).

La rue de Prague, qui relie la rue de Barcelone à l’avenue de Sète, nous rappelle le logement dans ce camp du 1er régiment de l’Armée tchécoslovaque, alliée à la France. Le drapeau tchécoslovaque fut hissé, pour la première fois, le 20 septembre 1939. Cette armée fut composée de patriotes évadés de leur pays occupé par les nazis. Au début de juin 1940, l’effectif de la nouvelle Armée tchécoslovaque s’élevait à 11 000 hommes, dont 5 000 appelés. Une plaque de marbre, due à l’association des Volontaires Tchécoslovaques en France, fixée entre les deux arches méridionales de la Maison du Cœur de ville, commémore la formation, dans notre cité, de l’Armée tchécoslovaque (1939-1940). Le 10 juin 2015, devant le monument du camp, notre ville a célébré le 75e anniversaire de la renaissance de l’Armée tchécoslovaque, en présence des ambassadeurs de Slovaquie et de la République Tchèque. Le 4 juin 2016, a été dévoilée à la gare d’Agde une plaque commémorant la constitution de l’Armée tchécoslovaque et son départ pour le front le 6 juin 1940.

La place des Enfants d’Izieu (DM du 24 octobre 1997) devant le parvis du collège René-Cassin, a été inaugurée le 24 octobre de la même année par le maire, Régis Passerieux.

Le drame des quarante-quatre enfants d’Izieu (petit village de montagne de l’Ain, où le couple Zlatin avait créé une colonie d’enfants juifs), morts dans le camp nazi d’Auschwitz, est lié à l’histoire locale d’Agde. Au camp d’Agde, entre fin 1940 et mars 1941, 1 200 enfants juifs étrangers et gitans furent internés par le régime de Vichy dans des conditions matérielles très dures. Ils furent ensuite envoyés vers d’autres camps, et notamment à Rivesaltes, avant, pour quasiment tous ces enfants, la déportation vers les camps de la mort, 300 de ces enfants avaient moins de trois ans. Au cours de cet épouvantable hiver 1940-1941, 120 enfants juifs et 15 enfants gitans furent sauvés de la déportation vers les camps nazis grâce au courage de la Dame d’Izieu’’. Sabine Zlatin ( photo ci-contre) était infirmière au camp d’Agde, où elle commença son œuvre de sauvetage des enfants. Les 44 enfants d’Izieu ont été raflés le 6 avril 1944 sur les ordres de Klaus Barbie, puis tués par les nazis à Auschwitz parce qu’ils étaient juifs. Lors de l’inauguration officielle, de jeunes Agathois du collège René-Cassin ont lu la liste des noms de ces enfants, avec leurs prénoms, leurs pays d’origine et les numéros de leurs convois vers la mort. Régis Passerieux, maire d’Agde, s’adressait aux jeunes élèves en ces termes : « Vous devez vous souvenir de ce moment quand vous serez en situation de choisir. Il est difficile, dans l’environnement paisible qui vous entoure, d’imaginer l’horreur de ce qui s’est passé en ces lieux, la souffrance de ces enfants qui ont eu faim, froid, peur, sans comprendre, alors que leur souffrance avait été pensée, organisée par des gens terriblement raisonnables et compétents, dont on retrouve la trace dans un fatras de notes administratives sur papier jauni. Aujourd’hui, nous savons tout. Vous devez savoir, vous, les jeunes générations, comment les choses se sont passées, même si cela paraît incroyable ».

Une plaque commémorative est apposée sur le mur du collège pour rappeler, sur huit lignes,  qu’ « Ici, au camp d’Agde, jusqu’à 1 200 enfants juifs et tziganes furent internés par le régime de Vichy et ses complices de septembre 1940 à août 1942. 300 de ces enfants avaient moins de 3 ans. En mars 1941, ils furent envoyés dans d’autres camps. Entre fin octobre 1940 et mars 1941, 120 enfants juifs et 15 enfants tziganes furent sauvés de la déportation vers les camps nazis grâce au courage de Madame Sabine Zlatin, ‘la Dame d’Izieu’. En mémoire de tous les enfants qui ne sont jamais revenus des camps, nous nous n’oublierons pas. » Sabine Zlatin réussira à sauver une centaine d’enfants juifs qu’elle cachera à Izieu, où son mari s’occupait d’une colonie d’enfants de l’Hérault. C’est Serge Klarsfeld qui lui a donné son surnom.

Le 10 décembre 1998, à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme Régis Passerieux, accompagné des membres du comité local d’histoire, inaugure,  une nouvelle voie créée derrière le collège René-Cassin, entre l’avenue Jean-Moulin et l’avenue Paul-Balmigère, sur l’emplacement même du camp, dénommée rue du Camp d’Agde (DM du 17 décembre 1998). La journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux ‘Justes’ de France a lieu chaque année dans cette rue, à la date la plus proche du 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d’hiver. Trois stèles en basalte nous rappellent l’existence de ce camp. La première mentionne les patronymes des Agathois qui ont sauvé des Juifs : « Aux Justes agathois. M. Achille Bautes ; M. et Mme Joseph Joly ; M. et Mme Paul Carausse et leurs enfants Louis et Nicole ; M. Jean Pallarès, le peuple juif reconnaissant. Suit une citation « Quiconque sauve une vie sauve l’univers tout entier » de Steven Spielberg. La seconde est dédiée à la mémoire des Juifs victimes des persécutions de Vichy et notamment les 41 Juifs des « Groupements de Travailleurs Étrangers » du camp d’Agde, transférés à Drancy le 25 août 1942 puis déportés à Auschwitz par le convoi n°25 du 28 août 1942. La troisième stèle, plus ancienne et plus imposante, rend hommage aux victimes des camps de concentration. Elle avait été initialement érigée au square Jean Félix et avait été inaugurée en 1956 par la municipalité Louis Vallière, lors de l’anniversaire de la Libération des camps de concentration.

Des intellectuels autres que ceux que nous avons cités précédemment y ont été internés, comme les artistes-peintres Francisco Marco Chilet, Jesús Guillén, Gerardo Lizárraga, Artur Kery Escoriguel, le dessinateur José Cabrero Arnal, créateur de Pif le chien, l’écrivain et homme politique Alexandre Cirici i Pellicer, le sculpteur Francisco Vázquez Díaz, le compositeur de sardanes Amadeu Matabera i Puntí, l’acteur de théâtre Joan Claramunt, l’auteur dramatique et journaliste Josep Amich. Parmi ceux qui ont laissé un nom, nous relevons Benito Panchamé i Busquets qui a combattu à Narvik, a connu de Gaulle et Churchill ; Luis Royo Ibañez qui a fait partie de la division Leclerc ; citons aussi le footballeur professionnel Antonio Pérez Balada.

Le square Francisco Prat Puig (DM du 25 novembre 2005) qui se trouve à l’angle de la rue Jean Moulin et de l’avenue Paul Balmigère, symbolise l’entrée du camp d’Agde. Il rend hommage à un archéologue de renom, au parcours exceptionnel, interné au camp en 1939, et a été officiellement inauguré le 2 décembre 2005 en présence des autorités cubaines et du maire, Gilles d’Ettore. Une plaque à sa mémoire a été placée à gauche sur le monument inauguré en 1989. On peut y lire : Francisco Prat Puig (1906-1997), archéologue historien (ancien réfugié espagnol). C’est Jean-Paul Cros, président du Groupe de Recherches Archéologiques Agathois (G.R.A.A.), qui a été à l’initiative de cette dénomination.

Francisco Prat Puig est né à La Pobla de Lillet (Barcelone) le 11 novembre 1906. Son père lui a transmis sa vocation d’enseigner et son goût de la découverte de trésors antiques en Catalogne (découverte d’un aqueduc romain de Pineda, en Catalogne, et quelques oppida ibères). Licencié en droit et en philosophie et lettres, option histoire, à l’université de Barcelone, il est professeur d’histoire et géographie au lycée de Mataró (province de Barcelone) en 1931. En 1936, l’université de Barcelone lui octroie le titre de docteur, mais la guerre empêche sa concrétisation. Militant actif des partis politiques catalanistes de gauche, pendant la guerre civile, Prat Puig est mobilisé dans l’armée républicaine. Il participe à de nombreux combats, mais, comme beaucoup de défenseurs de la République espagnole, il est obligé de se réfugier en France et il est interné au camp de concentration d’Agde le 15 mars 1939. Il y travaillera comme infirmier dans un local aménagé par les réfugiés eux-mêmes. Pendant son séjour agathois, en tant qu’archéologue, il sollicite auprès du commandant du camp, le chef d’escadron Georges Benoît-Guyod, l’autorisation de réaliser des fouilles au domaine de la Clape, au Cap d’Agde. C’est ainsi qu’il va être amené à diriger une équipe de réfugiés. Encadrée par Raymond Aris, pharmacien et archéologue autodidacte local, cette équipe réalisera une première campagne de fouilles sur le site d’Embonne, au Cap. Dans son Rapport sur le village ibérique de La Clape, près d’Agde, Prat Puig écrit dans les premières lignes : « Après les malheureux événements de la guerre d’Espagne, où j’étais soldat dans l’armée républicaine, j’ai dû me réfugier en France ; le 15 mars, j’ai été transféré à Agde, au Camp n°1 Baraque A-2. Un hasard m’a permis de faire connaissance avec M..Aris, pharmacien à Agde qui, par amour de l’archéologie, demanda au chef des Camps l’autorisation pour me laisser sortir et faire des recherches au domaine de La Clape, tout près du Cap d’Agde. » Preuves à l’appui, F. Prat-Puig démontra qu’il s’agissait d’une antique cité ibère (mise à jour de murs de défense, de sites d’exploitation du basalte pour la confection de meules rotatives, et d’une nécropole). La découverte de ce site ibère fut encensée par l’éminent archéologue Albert Grenier (1878-1961), titulaire de la chaire d’antiquités nationales au Collège de France et directeur d’antiquités de la Gaule celtique et romaine à l’École des Hautes Études. La collaboration des deux chercheurs va se poursuivre le long de l’église Saint-André, que R. Aris avait déjà exploré en 1938. Au mois d’août 1939, un ensemble de tombes chrétiennes et wisigothiques est exhumé dans la cour de l’Institution Notre-Dame. Puis ils vont diriger leurs recherches de l’édifice primitif du VIe siècle sur le site de Notre-Dame-du-Grau. Au mois de septembre, à l’instar de nombreux compatriotes réfugiés, il quitte Agde et choisit de s’exiler à Cuba. En novembre 1939, il débarque à La Havane où il retrouvera, le mois suivant, son épouse et ses deux filles qui étaient restées en Catalogne jusqu’à cette date. Dès lors, il s’installe définitivement à Cuba. Une nouvelle carrière va commencer pour lui. Après avoir connu des débuts difficiles (on lui reprocha notamment sa condition de réfugié et ses filles furent considérées comme des « enfants de rouges »). Il adopte la nationalité cubaine en 1941. Il devient professeur d’histoire de l’art à l’université de Santiago de Cuba. Auteur de nombreuses publications dont quelques-unes font référence, notamment Le Pré-baroque à Cuba (1947), de découvertes archéologiques majeures, grand restaurateur de pièces et d’édifices, il reçoit en 1992, à Madrid, du gouvernement espagnol la plus haute décoration de la Culture, l’ordre d’Isabelle la Catholique, et, en 1993, à Barcelone, la Generalitat de Catalunya lui attribue sa distinction suprême, la Croix de saint Georges. Il meurt à El Caney (Cuba) le 28 mai 1997. Un centre culturel prestigieux de Santiago de Cuba qui porte son nom a été inauguré le 1er avril 2003. Un hommage lui a été rendu en 2006 dans notre ville : une exposition a eu lieu à la Maison des Savoirs du 2 au 15 décembre ; des conférences ont été prononcées sur « Francisco Prat Puig avec la science et la lumière » (2 décembre, Jean Lamore), « 1939. L’exil des Espagnols » (10 décembre, Progreso Marín) et « L’œuvre cubaine de F. Prat Puig » (15 décembre, Yaumara Lopez). Le film « No pasarán » de Henri-François Imbert a été projeté le 10 décembre.