Francisco Prat Puig : du camp d’Agde à l’ordre d’Isabelle la Catholique
Francisco Prat-Puig : du Camp d’Agde à l’ordre d’Isabelle la Catholique
Francisco Prat Puig est né le 11 novembre 1906 à La Pobla de Lillet (province de Barcelone), ville dans laquelle son père est instituteur. Quelques années plus tard la famille part s’installer à Calella, petite ville du littoral. Après avoir obtenu son « bachillerato » (baccalauréat) en 1926, il s’inscrit à l’Université de Barcelone et, pour payer ses études, il effectue plusieurs petits boulots en tant qu’assistant d’avoué ou aide pharmacien ou encore répétiteur. Grâce à son père il se découvre une vocation pour l’enseignement ainsi qu’un engouement pour l’archéologie antique, deux passions autour desquelles il organisera sa vie. En participant à des chantiers de fouilles en Catalogne il découvre l’aqueduc romain de Pineda ainsi que quelques oppida ibères.
Licencié en droit et en philosophie et lettres, option histoire, à l’Université de Barcelone en 1931, il obtient la même année un poste de professeur d’histoire et géographie au lycée de Mataró (province de Barcelone). L’Université de Barcelone, pour laquelle il est assistant à la chaire d’archéologie, lui octroie le titre de docteur en 1936. Il ne pourra malheureusement pas occuper son poste car la guerre éclate à ce moment-là. En tant que militant actif des partis politiques catalanistes de gauche, Prat Puig défend la République et rejoint l’Armée Républicaine comme volontaire sur le front des Pyrénées où il participe à de nombreux combats. En novembre 1938 il est nommé « Miliciano de la Cultura » (Milicien de la culture).
À la fin de la guerre, à l’instar de nombreux Républicains fuyant la persécution, il passe la frontière pour se réfugier en France. Il est interné au Camp d’Agde le 15 mars 1939 où il se porte volontaire pour être infirmier dans l’infirmerie aménagée par les réfugiés eux-mêmes. C’est à cette occasion qu’il va faire la connaissance de Raymond Aris, pharmacien agathois et archéologue autodidacte. Entre les deux archéologues le courant passe, et lorsque Francisco Prat-Puig apprend que la ville d’Agde est une ancienne colonie grecque, il émet le désir de participer à des chantiers de fouilles. Car, malgré les horreurs de la guerre et la douleur de l’exil, il n’a pas oublié sa passion pour l’archéologie, et reprendre les fouilles lui permettra de fuir la lourdeur de l’incarcération. Raymond Aris obtient du commandant du Camp, le chef d’escadron Georges Benoît-Guyod, l’autorisation de faire sortir Prat-Puig afin qu’il dirige la campagne de fouilles qu’il encadre sur le site d’Embonne au Cap d’Agde.
Dans son Rapport sur le village ibérique de La Clape, près d’Agde, Prat-Puig note dans les premières lignes : « Après les malheureux événements de la guerre d’Espagne, où j’étais soldat dans l’armée républicaine, j’ai dû me réfugier en France ; le 15 mars, j’ai été transféré à Agde, au Camp n°1 Baraque A-2. Un hasard m’a permis de faire connaissance avec M. P. Aris, pharmacien à Agde qui, par amour de l’archéologie, demanda au chef des Camps l’autorisation pour me laisser sortir et faire des recherches au domaine de La Clape, tout près du Cap d’Agde. »
La campagne est fructueuse, et F. Prat-Puig démontre que le site fouillé est une antique cité ibère : des murs de défense, des sites d’exploitation du basalte pour la confection de meules rotatives et une nécropole sont mis au jour. Cette découverte fut encensée par l’éminent archéologue Albert Grenier (1878-1961), titulaire de la chaire d’antiquités nationales au Collège de France et directeur d’antiquités de la Gaule celtique et romaine à l’École des Hautes Études.
La collaboration entre les deux archéologues va se poursuivre sur d’autres campagnes de fouilles locales. Au centre ville d’Agde, le long de l’église Saint-André, site que R. Aris avait déjà exploré l’année précédente, ils vont exhumer en mars 1939 dans la cour de l’Institution Notre-Dame un ensemble de tombes chrétiennes et wisigothiques. Puis, sur le site de Notre-Dame du Grau, ils vont diriger leurs recherches de l’édifice primitif du VIe siècle.
En septembre 1939, quand vient l’opportunité de quitter le Camp d’Agde, à l’instar de nombreux compatriotes réfugiés, il décide de s’exiler à Cuba. Il a 33 ans lorsqu’il débarque deux mois plus tard à la Havane où son épouse et ses deux filles restées en Catalogne le rejoignent en décembre. Sa famille réunie, il s’installe définitivement à Cuba et désire commencer une nouvelle vie. Dire que son intégration dans la société cubaine n’est pas facile est un euphémisme : il se heurte à la corruption ambiante pratiquée par les mafias italo-américaines (Cosa Nostra) et a du mal à trouver un emploi. Il connaît une période de difficultés économiques durant laquelle sa famille se voit reprocher leur condition de réfugiés et ses filles considérées comme enfants de « rouge ». Mais il serre les dents et s’accroche…avec la même patience que celle dont il se sert pour réaliser ses fouilles archéologiques, il attend des jours meilleurs. Enfin quelques portes finissent par s’ouvrir : en septembre 1940, il arrive à présenter deux conférences traitant de « l’Espagne primitive » à la prestigieuse institution hispano-cubaine de Culture et deux ans plus tard il y propose des cours d’histoire de l’art. Ces interventions lui permettent de se faire connaître, et il reçoit des commandes, comme celle de la restauration de l’église de l’Esprit Saint à La Havane ou de la construction du nouvel Hôtel de Ville de La Havane.
Désormais connu et reconnu, il devient professeur d’histoire de l’art à l’université de Santiago de Cuba et publie des ouvrages qui font référence, comme Le Pré-baroque à Cuba (1947) ou un guide des monuments les plus anciens de Cuba. Il ne se contente pas d’intervenir à La Havane, mais réalise aussi des restaurations de pièces et d’édifices dans toute l’île.
Son œuvre et ses apports à la culture hispanique sont reconnus, au point que le gouvernement espagnol lui décerne à Madrid, en 1992, l’ordre d’Isabelle la Catholique, la plus haute décoration de la Culture, et, en 1993, la Generalitat de Catalunya lui attribue à Barcelone sa distinction suprême : la Croix de Saint Georges.
Francisco Prat-Puig meurt à El Caney (Cuba) le 28 mai 1997. En sa mémoire, un prestigieux centre culturel de Santiago de Cuba qui porte son nom a été inauguré le 1er avril 2003.
Ici, à Agde, plusieurs hommages lui ont été rendus. À l’initiative de Jean Paul Cros, président du Groupe de Recherches Archéologiques d’Agde, une plaque a été placée en 2005 sur le monument du Camp inauguré en 1989 et le square qui se trouve à proximité a été dénommé « Square Francisco Prat-Puig ». En 2006, une exposition a eu lieu à la Maison des Savoirs, des conférences ont été présentées (« Francisco Prat Puig avec la science et la lumière » par Jean Lamore, « 1939. L’exil des Espagnols » par Progreso Marín et « L’œuvre cubaine de F. Prat Puig » par Yaumara Lopez) et le film « No pasarán » de Henri-François Imbert a été projeté.
Le centre culturel « Francisco Prat Puig » de la Havane à Cuba
Gardons en mémoire ce professeur archéologue qui voulait améliorer la condition de ses compatriotes en leur apportant la culture. La nuit dans laquelle son pays a été plongé durant près de 40 ans l’a obligé à partir semer ailleurs, mais imaginons quelles ont dû être sa joie et ses regrets lorsque, de retour à la lumière, l’Espagne lui a remis, à lui le « rouge » honni, sa plus haute décoration culturelle.
Nous vous donnons rendez-vous le mois prochain avec le sculpteur Francisco Vasquez Diaz.