Agusti Bartra, écrivain catalan à la renommée internationale
Poète, narrateur, dramaturge, critique et traducteur, Agustí Bartra est une des figures les plus représentatives de son temps. Né le 8 novembre 1908 à Barcelone, il a vécu jusqu’à l’âge de huit ans dans le quartier du Guinardó, puis sa famille a déménagé à Sabadell. Dès sa plus tendre enfance, il se découvre une grande passion pour la lecture. En 1934, il commence déjà à écrire et voit son œuvre récompensée lors d’un concours organisé par l’Ateneu Enciclopèdic Popular. Il travaille dans le textile et collabore à des revues. En 1937, il publie un livre de contes, L’oasi perdut, et, l’année suivante, son premier recueil de poésies, Cant corporal. En 1938, lors de la guerre civile, il rejoint le front républicain de l’Aragon. Après la chute de la Catalogne, il franchit la frontière le 8 février 1939 au port de Bouet et est interné dans les camps de Saint-Cyprien (d’où il s’enfuit au bout de quelques jours), d’Argelès-sur-Mer et d’Agde.
Au mois d’août 1939, grâce à divers appuis, dont celui de l’écrivain Francesc Trabal, on l’autorise à se déplacer au château-refuge de Roissy-en-Brie, où il rencontre des intellectuels et des écrivains espagnols et catalans, comme Mercè Rodoreda et Pere Calders. (Photo ci-contre : Roissy en Brie avec des intellectuels exilés, Anna Muria et Agusti Bartra sont respectivement 2ème et 3ème à partir de la droite) C’est à Roissy qu’il fait la connaissance d’Anna Murià, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, qui deviendra sa compagne et lui donnera deux fils. En janvier 1940, le couple s’envole pour Saint-Domingue, où ils résideront un an. A. Bartra y rédigera le livre, El árbol de fuego (1940). En 1941, ils rejoindront Cuba, où il commence l’écriture du roman Xabola. Au mois d’août 1942, ils vont au Mexique, où se trouvent déjà de nombreux républicains exilés. Dès lors, Agustí Bartra ne cessera de publier. Il traduit aussi des œuvres françaises et anglaises, et collabore à des revues mexicaines et catalanes. De 1948 à 1950, le couple séjourne aux États-Unis, grâce à deux bourses de la Fondation Guggenheim. Leur union est officialisée. Bartra traduit de la poésie nord-américaine en catalan, et publie trois ouvrages. Puis ils reviennent au Mexique.
En 1954, son œuvre est diffusée en Catalogne, pour la première fois depuis la guerre civile, avec la publication de Poemes : primera antologia, dans la collection Óssa Menor, des éditions Proa. Une troisième bourse lui est accordée, ce qui lui permettra de passer une année à l’université de Yale et deux mois en Europe, et revoir notamment Paris, Roissy-en-Brie, Agde et Argelès.
Il continue de publier au Mexique (cinq nouveaux ouvrages). En septembre 1969, il occupe la chaire Juan Ramón Jiménez de poésie hispano-américaine à l’université de Maryland, à Washington. Cette même année il reçoit le prix Ciutat de Terrassa pour l’œuvre Doso ; cette distinction accélérera son retour en Catalogne, tout d’abord le 11 janvier 1970, puis définitivement, le 5 février 1971. En compagnie de son épouse, Anna Murià, il s’installera à Terrassa. C’est à Barcelone que sa production sera prolifique. Edicions 62 commencera la publication de son œuvre poétique complète. Non seulement ses œuvres antérieures seront publiées, mais Bartra se mettra à écrire de nouveaux ouvrages, notamment Els Himnes, lauréat du prix Carles Riba (1973) ; La noia del girasol (1982), prix Santiago Rusiñol (1981). C’est à cette époque que Bartra connaîtra la gloire, aussi bien nationalement qu’internationalement. La poésie catalane est honorée à Rotterdam en 1978, et des vers de notre poète sont traduits dans treize langues. Agustí Bartra a reçu la Creu de Sant Jordi en 1982, l’année même de sa mort. Une école de Terrassa perpétue sa mémoire depuis septembre 1982. L’inauguration a eu lieu en présence de sa veuve.
Timbre de la Principauté d’Andorre en hommage à Bartra
Durant son séjour au camp d’Agde, il a écrit des poésies amères qu’il a insérées dans le recueil El árbol de fuego (L’arbre de foc, traduction catalane, 1946) : un poème en prose, Apocalipsi (1939), A molts llocs d’aquest món (1939), Morts allà baix (juillet 1939), Pavillon T1.Alba (1939), Ciutat sense son (Ciudad sin sueño) dont deux variations y ont été composées, la troisième l’ayant été à Roissy.
Dans son roman concentrationnaire, Christ aux 200 000 bras (traduction française de Bernard Sicot ; texte initial : Xabola [Cabane]), commencé à Saint-Domingue, poursuivi à Cuba et terminé au Mexique, il décrit la terrible condition de l’homme sans patrie, poursuivi, reclus dans un camp de concentration, dont l’unique porte d’évasion est l’immense mer froide. En compagnie de quatre personnages, soldats de l’armée républicaine vaincue, Roldós, Tarrés, Puig et Vives, qu’il a côtoyés, il raconte son séjour dans les camps d’internement. Cet ouvrage est une référence obligée pour bien comprendre le cadre historique de ce premier et dur exil espagnol. Ses tableaux douloureux, réels, associés à la description métaphorique de l’auteur, participant et exécutant de cette expérience forcée, représentent un authentique témoignage de la vie dans les camps. Signalons aussi que Bartra a rédigé le prologue des Cartes des dels camps de concentració (1972) [ouvrage posthume (Lettres des camps de concentration, traduction française de Bernard Sicot, 2013)] écrites par son ami Pere Vives, jeune intellectuel catalan mort en déportation à Mauthausen (1910-1941), qu’il a connu à Saint-Cyprien, à Argelès et à Agde.
Voici un extrait du prologue concernant le camp d’Agde et son ami Pere Vives : « Nous avions l’habitude de nous retrouver au coucher du soleil, quand les rues de la ville de bois habitée par dix mille Catalans se vidaient et que les pavillons se remplissaient, après le dîner. Nous nous promenions en faisant des tours à travers le camp jusqu’au matin ou jusqu’à l’aube. Nuits d’Agde avec lui, et lui avec moi ! »
Nous vous donnons rendez-vous le mois prochain avec Luis Royo, un de la Nueve.