Josep Bartoli Guiu, peintre, dessinateur et écrivain

 

Peintre et dessinateur catalan, très impliqué dans le syndicalisme pendant la République, il dut s’exiler en France à la fin de la Guerre civile, en passant par divers camps de concentration, puis il est allé au Mexique et enfin aux États-Unis, où il est devenu un artiste reconnu.

Né à Barcelone en 1910, Josep Bartolí commence très jeune à travailler comme dessinateur de presse, en publiant des dessins sur des sujets politiques dans La Veu de Catalunya, L’Esquella de la Torratxa, La Humanitat, Papitu, Icària, Solidaridad Obrera, La Rambla, L’Opinió, El Noticiero Universal, Última Hora et d’autres revues catalanes.  Disciple du peintre et metteur en scène Salvador Alarma Tastas, il présente à Barcelone, entre 1933 et 1934, une exposition de dessins. Il participe à la création du Syndicat de Dessinateurs de la Catalogne, affilié à l’Union Générale des Travailleurs (UGT), syndicat dont il prendra la tête en 1936.

Militant du parti communiste catalan, il devient, pendant la guerre civile, commissaire politique du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). En 1937, il se bat sur le front de l’Aragon. À 30 ans, il rencontre à Barcelone l’amour de sa vie : l’Andalouse Maria Valdés. En janvier 1939, alors que Barcelone va tomber aux mains de Franco, elle est enceinte et doit se réfugier en France. Leur séparation sur le quai de la gare est un déchirement, elle ne veut pas quitter Josep. Bombardé par l’armée allemande, son train n’arrivera jamais en France. Des années plus tard, il la cherchera en vain.

Le 14 février 1939, Josep traverse les Pyrénées à pied dans la neige avec 1 000 camarades espagnols et des membres des brigades internationales. Les fascistes sont à leurs trousses. Pendant deux ans, il va connaître sept camps de concentration, Lamanère, Rivesaltes, Saint-Cyprien, Agde, puis l’ancien hôpital militaire de Perpignan, ce « terrible » hôpital, – selon ses dires -, où il dort sur la paille à même le sol et y contracte le typhus. Grâce à la complicité d’un capitaine de l’armée française, René Sidovra, il s’enfuit de cet hôpital. Pour remercier cet officier, il lui offre quelques-uns de ses dessins. Mais ce dernier les vend à un journal pour lui procurer de l’argent et lui permettre d’aller à Paris. De la capitale française, il passe par Chartres, Orléans, La Ferté et Bordeaux, où il pense embarquer. Malheureusement la police l’arrête et le conduit dans un camp près de la cité girondine, avant de le transférer dans celui de Bram, où il commence à dessiner en cachette sur un carnet.  Il poursuit son « œuvre de résistance » derrière les barbelés et réussit à s’évader de Bram. Arrêté près de Vichy par la Gestapo, il est envoyé au camp nazi de Dachau. Il parvient à sauter du train et à échapper à une mort programmée.

Son expérience des camps a accru sa rage de décrire pour en montrer la triste réalité. Ses camarades le soutenaient et le cachaient quand il dessinait. À leurs yeux, Josep Bartoli, avec ses dessins, participait à la création de la mémoire collective, et devenait celui qui allait révéler au grand jour leur enfer quotidien. Il se devait de le faire pour ceux qui ne pouvaient s’exprimer. Il a alors dessiné sur tous les supports papiers qu’il a pu se procurer et les a camouflés sous le sable des camps. Au départ, il ignorait ce qu’il en ferait véritablement, mais peu à peu lui est venue l’idée de les réunir dans un livre. Dès lors il fallait qu’il parte, comme il l’a expliqué en 1943 : « Je suis venu en Amérique seulement pour écrire mon livre. C’est un devoir que j’ai envers ces yeux vitreux de moribonds, qui tant de fois m’ont demandé de raconter pour qu’un jour on sache comment ils trouvèrent la mort dans ces baraques en bois pourri, sous la cruauté des gendarmes ».

 

Après un long périple, il arrive à Veracruz, au  Mexique. En 1943, ce pays offrait l’asile à de nombreux réfugiés espagnols. Josep y côtoie les artistes engagés dans la révolution mexicaine. Il devient l’amant de Frida Kahlo, l’une des plus grandes figures de l’art mexicain du XXe siècle. La même année il présente pour la première fois ses dessins dans une exposition au palais des Beaux-Arts de Mexico. Il entre en contact avec le peintre Diego Rivera et participe à la fondation de la galerie Prisse. Peu de temps après, en 1944, avec l’aide du journaliste Narcís Molins Fabrega qui en écrit les textes, il publie le livre intitulé « Campos de concentración 1939-1940 », dans lequel il offre son témoignage iconographique (notamment des ustensiles ou des jeux réalisés par les internés, des portraits de prisonniers, des scènes évocatrices, des dessins descriptifs, des latrines). Il fréquente les peintres Mark Rothko, Charles Pollock, Franz Kline et Willem De Kooning, dessine dans la revue de New-York Holliday et dans le supplément Reporter du Saturday Evening Post. En France, il illustre de nombreux ouvrages pour le « Club Français du Livre», dont Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1956) et Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1963). Il se consacre aussi à la propagande politique et collabore à des revues comme Ibérica, España Libre et Mundo. Il réalise plusieurs expositions aux États-Unis, dont Apuntes de guerra (1946), et en 1948 il présente des aspects urbains des villes de Chicago, Londres, Paris et Hollywood dans la revue Holliday. En 1977, lors de son retour en Catalogne, sa production finale se caractérise par une abondante création littéraire, presque inédite.

Il a aussi travaillé comme dessinateur de costumes et conseiller scénographique dans plusieurs films à Mexico, comme La monja alférez (Emilio Gómez Muriel, 1944), avec Maria Félix, et Marina (Jaime Salvador, 1945) ainsi qu’à Hollywood (The Captain from Castile, 1947). Parmi ses livres, citons Calibán (1971) et The black man in America (1975). En 1973, il reçut le prix Mark Rothko d’Arts plastiques. Il mourut à New-York en 1995.

 

Les dessins de Josep Bartolí

Josep Bartoli a surtout réalisé des dessins satiriques dans les camps pour dénoncer les conditions de vie des exilés. Deux groupes de personnes sont caricaturés : les réfugiés et les gendarmes. Pour ces derniers, il utilise le zoomorphisme, les gendarmes sont en effet représentés sous les traits de chiens, de cochons, de chauves-souris pour souligner leur caractère inhumain. Il crée aussi des personnages hybrides, mi-hommes mi- animaux énormément poilus et pourvus d’une queue de chien. Il dessine la nature humaine dans sa monstruosité la plus abjecte. Les gendarmes se comportaient méchamment vis-à-vis des internés, mais fort heureusement tous n’ont pas eu un tel comportement. Les réfugiés perdent peu à peu leur aspect humain, leurs corps malades deviennent plus frêles, pour attirer la compassion d’autrui. Les dessins de Bartolí n’ont absolument rien d’objectif, car ils ont été réalisés sur le vif. Il a voulu nous faire comprendre et partager les traumatismes, les souffrances, les dégradations physiques, l’inanition de ces exilés dont il faisait partie et qu’il a connus.

 

 

Nous vous proposons de visionner ici la vidéo proposée  par France Culture sur Josep Bartoli