Dora Rodéghiero, internée au Camp d’Agde à 12 ans

Dora Rodéghiero, internée au Camp d’Agde à 12 ans

A 93 ans Dora Rodéghiero a une grande vivacité d’esprit, beaucoup d’humour et une joie de vivre communicative ! C’est par l’intermédiaire de sa petite-fille que nous avons  pu la  rencontrer et recueillir son témoignage alors qu’elle séjournait à Saint Pierre la Mer.

Ravie de pouvoir partager ses souvenirs et de connaitre enfin l’histoire de ce Camp où elle a été internée, Dora raconte….

Née de parents italiens naturalisés français elle vit à Clouange en Moselle lorsque les Allemands annexent la région en aout 1940 et procèdent à une germanisation forcée : Interdiction de parler français, disparition de la presse française, de la monnaie et des timbres français. Les enseignes des magasins et les plaques de rue sont germanisées, de même que les noms de villes et villages ainsi que  les noms et prénoms. Les statues françaises sont déboulonnées, les monuments aux morts sont germanisés et les associations dissoutes.

Sa mère, qui avait fait part à une voisine de son refus de changer de nationalité, est dénoncée.  Un matin les Allemands viennent les chercher pour les conduire vers des bus stationnés sur la place du village. Dora, sa mère et ses trois frères et sœurs (le père, ouvrier, avait été envoyé travailler en Allemagne) font alors partie de ces 60 000 Mosellans francophiles ou francophones, jugés « indésirables », qui sont raflés et expulsés vers la France de l’intérieur ente le 11 et le 21 novembre 1940.

Les bus les déposent à la gare de Metz où ils montent à bord de wagons à bestiaux sous la surveillance des Allemands. Après un arrêt à Chalons (ligne de démarcation) pour que les Allemands descendent le convoi continue sa route  jusqu’à Lyon où a lieu un remembrement. De nombreuses familles dont la sienne sont conduites à Revest du Byon dans les Alpes de Hautes Provence. C’est dans cette ville que le père, évadé d’Allemagne réussit à rejoindre les siens. Quelque temps après il y a un nouveau remembrement et sa famille fait partie d’un convoi qui va à Digne, puis à Agde où tout le monde est amené au Camp. Là, les hommes sont séparés des femmes et des enfants.

Dora ne peut dire avec précision combien de temps elle est restée internée mais elle garde des souvenirs précis de son passage. Elle se souvient  du froid et d’avoir attrapé des engelures. Sa mère faisait du feu avec des planches pour réchauffer la baraque dans laquelle ils étaient logés. Elle dormait sur des planches recouvertes de paille et il y avait des courants d’air dans le baraquement. « Le seul bois était celui que les mamans allaient voler » nous a-t-elle dit.  Elle a été marquée aussi par la nourriture exécrable et l’exotisme des Indochinois dont la présence l’étonnait.

Elle dit ne garder aucun traumatisme de ce séjour au Camp et ne pas en avoir souffert.  Elle met cela sur le compte de la présence rassurante de sa mère et de l’insouciance de l’enfance. Ainsi qu’elle le dit : « on était tous à la même enseigne. Nous les enfants on passait nos journées à rire et à courir ».

Elle explique que sa mère prend contact avec  un ami de la famille, ancien cafetier à Clouange  installé à Sète. Il a eu le courage d’aller à Vichy demander des explications sur leur présence au Camp. Et là, il  lui a été répondu qu’il s’agissait d’une erreur de convoi. Peu de temps après toutes les familles sont libérées et réparties dans plusieurs villes proches d’Agde.

Dora et sa famille se retrouvent à Saint Thibéry où ils restent jusqu’à la fin de la guerre. Ils retournent alors à Clouange et récupèrent leur maison qui avait été entièrement pillée.

Nous remercions grandement Dora d’avoir accepté de témoigner et d’avoir partagé les souvenirs qu’elle garde de cette période. Par ce témoignage intéressant et rare d’une française catholique expulsée de Moselle qui se retrouve internée au Camp d’Agde à 12 ans avec sa famille elle a enrichi notre collecte d’éléments factuels. L’histoire de Dora montre une fois de plus  à quel point le Camp d’Agde était une plaque tournante des déplacements de populations durant la guerre.

 

H. Pascual pour l’AMCA